Critique : Dédié au chanteur Kurt Cobain, « Last Days » s’inspire, comme « Elephant » et « Gerry », de faits évoqués dans les journaux, afin de développer une variation libre et plastique sur un sujet qui n’est pas essentiellement mélodramatique. Pathétique, lunaire ou, une nouvelle fois, inspiré de figures modernes et proprement américaines (de Beckett à Tennessee Williams, Gus Van Sant n’admire pas que Bela Tarr !), Blake est un personnage opaque et édifiant, évoluant dans un univers où les éléments semblent aussi palpables qu’abstraits. En l’observant, Gus Van Sant cite quelques sommets du cinéma dont il s’est déjà inspiré par le passé. « Psychose » et « Shining » ressurgissent notamment par le biais de l’immense et sinueuse demeure isolée, une trouvaille essentielle qui devient quasiment le personnage principal du film. En remodelant aussi les éléments de sa propre filmographie, il parvient toutefois à éviter le systématisme, ou pire encore, à créer son propre académisme.
Dans « Last Days », la mise en scène n’est en effet pas aussi régulière que dans le très célébré « Elephant », elle est plus libre et éclatée. Là où l’on pouvait se figurer l’architecture du lycée, choisi comme décor principal d’« Elephant », grâce aux trajets de la caméra, les déambulations de Blake sont plus hiératiques, tout comme la composition du récit. Le film d’horreur, le film rock, le mélodrame ou la comédie noire deviennent autant de propositions qui aèrent la structure du film, sans que celui ne se délite vraiment. Plus que de la routine, Gus Van Sant est une nouvelle fois sur le terrain de l’expérimentation. Tout ne procède cependant pas d’un égal bonheur. Si le thème de l’usurpation, taraudant un Blake qui n’assume plus le cirque médiatique, est finement amené par l’histoire du faux magicien chinois, certaines autocitations (l’anecdote sur « Gerry », dans la salle de concert) ou le désir de changer de peau, abordé par le biais du travestissement, s’avèrent un peu plus arbitraires. Mais il y a à l’œuvre un sens de l’absurde ou de la cruauté et une esthétique du mauvais goût pour le moins habile, qui font de « Last Days » une jolie méditation vénéneuse, qu’il convient de ne pas prendre avec trop de cérémonie pour l’apprécier au mieux.
Julien Welter